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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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musulman du monde. Un demi-siècle après la Partition, elle accueille toujours plus de musulmans que le Pakistan. En choisissant d’y rester, ces derniers ont clairement indiqué leur préférence, et pourtant la plupart des hindous de la ville ne croient pas une minute à leur amour de l’Inde. Ils partagent plutôt l’avis de Bal Thackeray, qui juste après la destruction du Babri Masjid écrivait dans le journal de son parti : « Le Pakistan n’a pas besoin de franchir la frontière pour attaquer l’Inde. Les deux cent cinquante millions de musulmans qui y vivent en fidèles sujets pakistanais préparent un soulèvement armé. [Ils représentent] l’une des sept bombes atomiques du Pakistan. » D’ailleurs, « de quelque nationalité qu’il soit, un musulman est d’abord et avant tout musulman. La nation est pour lui d’une importance secondaire ».
    Les musulmans de Bombay composent le groupe le plus diversifié qui soit des disciples de Mahomet. La grande division entre chiites et sunnites se ramifie dans les cultes dawoodi bohra, ismaélien, deobandi, barelvi, memon, moplah, ahmadiyya, etc. L’islam tel que le dépeignent les partis de l’Hindutva {45} est d’autant plus effrayant qu’il paraît monolithique. En réalité, nombre des groupes qui s’en réclament ont entre eux des rapports plus tumultueux qu’avec les hindous. Il n’en est pas moins vrai que les émeutes les ont rapprochés. Les riches dawoodis bohras de Malabar Hill ont découvert qu’ils avaient un point commun avec les sunnites biharis cantonnés dans les bidonvilles de Madanpura : la remise en question très publique de leur identité de citoyens indiens. Ils se sont rendu compte qu’il n’y avait pas, dans ce pays, pire crime que d’être musulman.
    L’un des jeunes peu commodes prit la parole pour dire que son frère avait été tué pendant les émeutes et que ses assassins couraient toujours. À l’inverse, après le drame de Radhabai Chawl la police avait arrêté onze musulmans, condamnés depuis à la prison à vie. Un membre du Shiv Sena – un de ses responsables, à en croire la rumeur –, avait traîné le cadavre de la jeune fille handicapée dans tout Bombay pour enflammer la colère des hindous. « D’accord, une femme est morte à Radhabai Chawl, mais nous avons perdu cinquante des nôtres et il ne s’est rien passé. Ils ont la loi pour eux, ils font ce qu’ils veulent. Si vous avez une justice, il faut que ce soit la même pour les deux camps, ou alors il faut carrément nous dire de nous battre. Se battre, on sait faire. » Peu à peu, les jeunes accaparèrent les débats. Les femmes n’ouvraient plus la bouche ; le couple hindou s’esquiva.
    Au bout d’un moment, les deux garçons partirent à leur tour, non sans m’avoir mis en garde : « Écris des trucs corrects. » Et en riant d’un rire dénué d’humour, l’un d’eux me lança : « Si t’écris pas une ligne ça ira aussi très bien. »
    Après leur départ, l’atmosphère devint soudain plus légère. Les femmes leur trouvaient des excuses. « Ils ont la rage, vous comprenez. C’est pour ça qu’on ne voulait pas qu’ils viennent. »
    Une de mes interlocutrices entreprit de m’expliquer ce que lui coûtait ce moment qu’elle me consacrait. « Je suis là, avec vous, mais mon cœur est chez moi. Est-ce qu’il y aura encore de l’eau ? Combien de temps faudra-t-il attendre ? » Dans le slum, pour avoir de l’eau il faut faire la queue, avec un numéro. On passe par groupes de trente, et chacun a droit à deux seaux pour les besoins du foyer. La religion détermine combien de fois on peut se laver et dans quelles latrines faire ses besoins. « Dans les zones hindoues, il y a un robinet par ruelle ; ici, on n’en a qu’un pour huit ou dix rues. Là-bas, vous avez des toilettes partout. Chez nous, elles ont toutes été supprimées pour une durée d’un an. »
    Le slum ressemble à une décharge. Les égouts à ciel ouvert courent entre les maisons ; les enfants jouent dedans, tombent parfois par accident dans leur boue noire aux reflets bleuâtres. Quand les éboueurs municipaux viennent vidanger, ils dégagent cette vase à la pelle et la laissent en tas énormes près des lieux d’aisances. Je n’ai pas pu me résoudre à utiliser ces derniers. J’ai essayé, une fois : il y avait deux rangées de sièges, tous pleins d’excréments qui passaient par-dessus bord pour s’étaler

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