Bonaparte
l’auteur d’un dessin satirique à un aubergiste s’adressant à Bonaparte partant sans payer.
— Tais-toi, c’est la République de Venise.
La superbe Venise fit plus que « payer l’écot ». Les Pâques véronaises coûtent la vie à la République.
— Ces coquins-là me le payeront ! s’exclame Bonaparte. Leur république a vécu.
Le dernier doge est « démissionné » le 12 mai, et, le 14, les soldats français défilent place Saint-Marc.
Le 7 avril 1796, à Albenga – il avait quitté Nice la semaine précédente à la tête d’une horde de loqueteux – Bonaparte décidait d’attaquer les passages où les Apennins se détachent des Alpes : la campagne d’Italie commençait. Le 7 avril 1797, à Judenburg, alors que seuls les monts du Semmering le séparaient de Vienne, Bonaparte signait la suspension d’armes qu’il avait offerte aux Autrichiens.
En une année, le « général Vendémiaire » est devenu le maître de toute l’Italie du nord, et, véritable proconsul, il va y régner durant six mois.
IX
LA GRANDE AMBITION
En guerre comme en amour, pour en finir il faut se voir de près.
N APOLÉON .
Aux Crivelli, non loin de Milan, Bonaparte entraîne, dans le délicieux parc du château de Mombello, le ministre de France en Toscane, Miot, comte de Melito, et le comte milanais Gaétan Melzi. Tous deux le regardent avec une profonde admiration. « Ce n’était déjà plus le général d’une république triomphante, dira le diplomate, c’était un conquérant pour son propre compte, imposant ses lois aux vaincus !... » Napoléon fait maintenant plus que percer sous Bonaparte. C’est déjà un chef d’État que les deux hommes ont devant eux – et qui parle durant deux heures d’horloge avec une étonnante prescience de l’avenir :
— Ce que j’ai fait jusqu’ici n’est rien encore. Je ne suis qu’au début de la carrière que je dois parcourir. Croyez-vous que ce soit pour faire la grandeur des avocats du Directoire, des Carnot, des Barras, que je triomphe »en Italie ? Croyez-vous que ce soit aussi pour fonder une république ? Quelle idée ! Une république de trente millions d’hommes ! Avec nos moeurs, nos vices ! Où en est la possibilité ? C’est une chimère dont les Français sont engoués mais qui passera comme tant d’autres. Il leur faut de la gloire, les satisfactions de la vanité. Mais la liberté, ils n’y entendent rien. Voyez l’Armée ! les victoires que nous venons de remporter, nos triomphes ont déjà rendu le soldat français à son véritable caractère. Je suis tout pour lui. Que le Directoire s’avise de vouloir m’ôter le commandement, et il verra s’il est le maître. Il faut à la Nation un chef, un chef illustré par la gloire, et non par des théories par lesquelles les Français n’entendent rien. Qu’on leur donne des hochets, cela leur suffit. Ils s’en amuseront et se laisseront mener, pourvu cependant qu’on leur dissimule adroitement le but vers lequel on les fait marcher !
Les deux hommes qui l’écoutent sont abasourdis, et « aussi pénétrés d’attendrissement que l’admiration ».
« Je cherche dans les annales des peuples tant anciens que modernes, écrira de son côté le diplomate Trouvé, des modèles à lui comparer pour les talents militaires, politiques, administratifs, et je ne vois pas d’homme qui, en les réunissant tous au même degré que lui, ait jamais fait autant de grandes choses en si peu de temps. »
Le poète Arnault le dira également : « Cet homme-là est un homme à part. Tout fléchit sous la supériorité de son génie... Il est né pour dominer comme tant d’autres sont nés pour servir. SU n’est pas assez heureux pour être emporté par un boulet, avant quatre ans d’ici, il sera en exil ou sur un trône. »
Le trône : le mot est lancé ! Et il est certain que l’on trouve déjà à Mombello une « ambiance de cour ». Bonaparte pense-t-il déjà à un règne possible ? Quoi qu’il en soit, il croit en son étoile et a pleinement conscience de sa valeur. Dans cette résidence royale, il agit tout naturellement en souverain. Il dîne seul. A distance, et debout, se tiennent les ministres des gouvernements italiens et les magistrats ; ses officiers, Berthier, Kilmaine, Clarke, Augereau même, attendent que leur chef daigne leur adresser la parole – une faveur que tous n’obtiennent pas. Pendant le repas – déjà fort rapide – les habitants du pays ont le droit de
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