Crépuscule à Cordoue

goût de plaisanter en disant que c’était probablement une vengeance concoctée par leurs rivaux, les Annæi, qui m’avaient prêté le cheval.
    Après les avoir remerciés de leur générosité, je m’éloignai aussi vite que Caracoleur voulut bien trotter.

30
    Helena Justina était fort peu vêtue, mais elle me rappelait trop une salade pour que j’aie des idées folâtres.
    — Tu fais mariner l’enfant ? demandai-je.
    Elle continua calmement à se masser le ventre avec de l’huile d’olive.
    — Soi-disant que ça va assouplir ma peau et l’aider à se tendre, dit-elle. Tu veux m’aider à la faire pénétrer. S’il en reste, je m’en servirai pour le déjeuner.
    — Je vois que tu te débrouilles très bien toute seule, dis-je en me laissant tomber sur une couche pour l’observer.
    Soudain pleine de retenue, Helena Justina me tourna le dos.
    — Je crois qu’il n’a jamais existé quelque chose de plus utile qu’un olivier, affirmai-je d’un air songeur. L’huile soigne les brûlures, elle est bonne pour le foie, empêche les pots de fer de rouiller, permet de conserver la nourriture, d’allumer des lampes. Avec le bois, on fabrique des bols, on fait du feu…
    — Et dans cette région, on élève les enfants avec un mélange d’huile d’olive et de blé concassé, ajouta Helena en se retournant vers moi. Et la cuisinière m’a appris que les sages-femmes s’en servaient aussi pour aider les bébés à venir au monde. Moi, j’en donne une cuillerée à Nux tous les jours pour qu’elle ait un beau poil.
    En entendant son nom, la chienne, qui dormait sur un tapis, leva le museau et remua la queue avec enthousiasme. Son pelage ressemblait à une pelouse mal entretenue.
    — Malheureusement, rien ne pourra jamais améliorer son poil, assurai-je. Je crois qu’il faudrait commencer par la raser entièrement. De toute façon, tu n’arriveras jamais à transformer cette bâtarde en chien de salon.
    — Fais un bisou à Marcus pour le remercier de t’aimer aussi fort ! susurra Helena à la chienne d’une voix tendre.
    Et sans hésiter, l’animal bondit en travers de ma poitrine. J’eus beaucoup de mal à me défendre contre sa langue râpeuse. À en juger par sa façon de se conduire avec Nux, je me demandais avec un soupçon d’inquiétude quel genre de mère allait être Helena. Elle me désarma soudain en déclarant :
    — Ça me plaît vraiment, ici. J’aime le calme de la campagne. Et personne ne semble nous reprocher la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je suis heureuse de me trouver dans cette ferme avec toi, Marcus.
    — Pareil pour moi, grommelai-je.
    Et c’était vrai. S’il n’y avait pas eu l’accouchement en vue, et la nécessité de ramener Helena Justina à temps pour la confier aux bons soins de nos mères respectives, j’aurais été heureux de passer plusieurs mois dans cette propriété.
    Après un moment de silence, j’ajoutai :
    — Il faudrait peut-être envisager de nous installer en province, loin de la famille.
    — Tu es un homme de la ville, Marcus.
    — Pas si sûr. Choisis un endroit pittoresque pour y aménager notre maison.
    — L’île Bretagne ! s’exclama-t-elle en riant, sachant combien je détestais cet endroit.
    Et je me remis à rêver à ma villa dominant le Tibre, dotée d’un magnifique jardin en terrasse d’où nous pourrions admirer le panorama de Rome.
    Helena me regardait comme si elle pouvait lire mes pensées fantaisistes. Elle savait combien il était vain d’espérer ce genre de chose. Mais soudain, ses yeux se mirent à briller d’une façon qui m’obligea à repousser la chienne.
    — La cuisinière m’a dit autre chose, Marcus : soi-disant qu’un régime riche en huile d’olive rend les femmes passionnées et les hommes plus doux.
    — On peut essayer, proposai-je en lui tendant les bras.

31
    Helena Justina s’était endormie. Sans défense, elle paraissait beaucoup plus fatiguée que quand elle savait que je l’observais. Je n’hésitai pourtant pas à me flatter, en imaginant qu’une partie de sa fatigue actuelle était due à mes qualités d’amant. Malgré tout, ses traits tirés commençaient à m’inquiéter sérieusement.
    Je n’aurais jamais dû la laisser voyager aussi loin dans son état. L’amener avec moi en Bétique avait été une décision stupide. Je ne gardais plus aucun espoir de terminer mon enquête avant l’arrivée du bébé. Au cours des deux jours qui