Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
plus à
balancer ; il mena ou fait obligé de suivre son armée jusqu’aux confins de
l’Italie, tandis que Philippe, rassemblant toutes ses forces pour repousser le
compétiteur redoutable qu’il avait lui-même élevé, marchait à sa rencontre. Les
troupes impériales étaient supérieures en nombre ; mais les rebelles
formaient une armée de vétérans, commandés par un général habile et expérimenté [773] . Philippe fut ou
tué dans le combat, ou mis à mort quelques jours après à Vérone. Les prétoriens
massacrèrent à Rome son fils, qu’il avait associé à l’empire. L’heureux Dèce,
moins criminel, que la plupart des usurpateurs de ce siècle, fut
universellement reconnu par les provinces et par le sénat. On dit
qu’immédiatement après avoir été forcé d’accepter le titre d’Auguste, il avait,
par un message particulier, assuré Philippe de sa fidélité et de son innocence,
déclarant solennellement qu’à son arrivée en Italie il quitterait les ornements
impériaux, et reprendrait le rang d’un sujet soumis. Ses protestations
pouvaient être sincères ; mais, dans la situation où la fortune l’avait
placé, il lui aurait été difficile de recevoir ou d’accorder le pardon [774] .
Le nouvel empereur avait à peine employé quelques mois au
rétablissement de la paix et à l’administration de la justice, lorsqu’il fut
tout à coup appelé sur les rivés du Danube par des cris de guerre et par
l’invasion des Goths. C’est ici la première occasion importante où l’histoire
fasse mention de ce grand peuple qui, bientôt après, renversa la monarchie
romaine, saccagea le Capitole, et donna des lois à la Gaule, à l’Espagne et à
l’Italie. Ses conquêtes en Occident ont laissé des traces si profondes, que
même encore aujourd’hui on se sert, quoique fort improprement, du nom de Goths
pour désigner tous les Barbares grossiers et belliqueux.
Dans le commencement du sixième siècle, les Goths, maîtres
de l’Italie, et devenus souverains d’un puissant empire, se livrèrent au
plaisir de contempler leur ancienne gloire et l’avenir brillant qui s’offrait à
leurs yeux. Ils désirèrent de perpétuer le souvenir de leurs ancêtres, et de
transmettre leurs exploits aux siècles futurs. Le savant Cassiodore, principal
ministre de la cour de Ravenne, remplit les vœux des conquérants. Son histoire
des Goths consistait en douze livres ; elle est maintenant réduite à
l’abrégé imparfait de Jornandès [775] .
Ces écrivains ont en l’art de passer avec rapidité sur les malheurs de leur
nation, de célébrer son courage lorsqu’il était secondé par la fortune, et
d’orner ses triomphes de plusieurs trophées érigés en Asie par les Scythes. Sur
la foi incertaine de quelques poésies, les seules archives des Barbares, ils
font venir originairement les Goths [776] de la Scandinavie [777] .
Cette vaste péninsule, située à l’extrémité septentrionale de l’ancien
continent, n’était pas inconnue aux conquérants de Rome. De nouveaux liens
d’amitié avaient resserré les premiers nœuds du sang. On avait vu un roi
scandinave abdiquer volontairement sa sauvage dignité, et se rendre à Ravenne
pour y passer le reste de ses jours au milieu d’une cour tranquille et polie [Jornandès,
3] . Des vestiges, qui ne peuvent être attribués à la vanité nationale,
attestent l’ancienne résidence des Goths dans les contrées au nord de la
Baltique. Depuis le géographe Ptolémée, le midi de la Suède semble avoir
toujours appartenu à la partie la moins entreprenante de la nation, et même
aujourd’hui un pays considérable est divisé en Gothie orientale et occidentale.
Depuis le neuvième siècle jusqu’au douzième, tandis que le christianisme
s’avançait à pas lents dans le Septentrion, les Goths et les Suédois formaient,
sous la même domination, deux nations différentes, et quelquefois ennemies [778] . Le dernier de
ces deux noms a prévalu, sans anéantir le premier. Les Suédois, assez grands
par eux-mêmes pour se contenter de leur réputation dans les armes, ont toujours
réclamé l’ancienne gloire des Goths. Dans un moment de ressentiment contre la
cour de Rome, Charles XII fit entendre que ses troupes victorieuses n’avaient
pas dégénéré de leurs braves ancêtres, dont la valeur avait autrefois subjugué
la reine du monde [779] .
Le célèbre temple d’Upsal subsistait encore à la fin du
onzième siècle dans cette
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