Histoire du Japon
l’histoire telle que la rapporte l’intendant – se plaignit secrètement dans la capitale du comportement dudit fonctionnaire, à qui la cour retira ensuite son emploi tandis que le gouverneur recevait l’ordre d’arrêter l’intendant. Fort de cet ordre, et avec l’appui de plusieurs centaines de soldats, le gouverneur envahit le domaine, força les entrepôts et prit quelques milliers de boisseaux de riz provenant des contributions, saisit les biens des autres habitants du domaine, et arrêta enfin l’officier inspecteur en même temps que l’intendant.
L’abbé du Kôfukuji se plaignit alors directement au régent, et la cour envoya d’autres officiers sur place examiner les faits. Mais ceux-ci étaient partisans des Fujiwara, et le gouverneur rapporta que, loin d’enquêter, ils voulurent profiter de leur mission pour maltraiter les paysans et confisquer d’importantes quantités de riz sous prétexte qu’il était dû au fisc. L’enquête se poursuivit ensuite dans le bureau du chancelier, dans la capitale, et l’affaire s’éternisa. Les documents qui s’y rapportent ne permettent pas de prendre parti, mais il est clair que l’intendant et ses collègues s’efforcèrent de défier l’autorité du gouverneur de la province et de s’abriter derrière le régent. On sait que ce fut le régent qui eut le dernier mot, car il dit au gouverneur (qui était u k Fujiwara) qu’il était une disgrâce pour son clan, un ver dans le bois, et qu il devrait être chassé pour avoir osé pénétrer de force dans un domaine Fujiwara. Cette anecdote révèle parmi bien d’autres l’attitude des Fujiwara à l’égard des lois et des édit6 de la Couronne. Si l’intérêt du clan était en jeu, on pouvait les enfreindre. On racontait du grand régent Michinaga (995-1017) qu’il possédait des terres exonérées d’un bout à l’autre du pays, et un parent alors en place disait à ce propos : « Le sol de l’empire tout entier appartient à la Première Famille [" Ichi no le " – la maison supérieure – signifie ici la branche Michinaga du clan], et il n’est pas une tête d’épingle où elle ne soit propriétaire. Dans quelle triste époque vivons-nous ! » Il est symbolique de la position dominante du clan que son monastère, le Kôfukuji, ait été momentanément si puissant qu’aucun gouverneur n’était nommé dans la province du Yamato, parce qu’il en aurait résulté une atteinte au pouvoir quasi absolu de son abbé.
D’autres efforts pour arrêter le processus de décadence des lois foncières furent tentés en 1032 par l’empereur Go-Ichijô, qui, pour s’opposer aux prétentions Fujiwara, prit secrètement contact avec un ministre, lequel lui conseilla de « parler au régent » ; et encore en 1140, par l’empereur Shujaku, qui n’obtint d’autre résultat que de découvrir que les ordres de la cour n’étaient plus respectés par les autorités locales.
En 1056, abandonnant l’espoir d’annuler les droits d’exemption en vigueur, la cour tenta modestement d’empêcher la constitution de nouveaux shôen, mais sans beaucoup d’effets, car si la puissance des Fujiwara était alors sur le déclin, d’autres clans, non moins avides de terres, prenaient progressivement leur place. Enfin, l’empereur Go-Sanjô (1068-1072) fit un dernier effort désespéré pour réformer l’ensemble du système en créant un Bureau des Archives ( Kirokujo) et en soumettant à un étroit contrôle les titres de propriété et d’exonération. Cette initiative suscita l’inquiétude du clan Fujiwara et de certains grands monastères, qui déclarèrent que l’enquête pouvait avoir lieu mais que, pour leur part, ils n’avaient à produire aucun document. Le résultat le plus marquant de toute l’affaire fut d’amener les grands propriétaires fonciers à se procurer un quelconque papier pour justifier des exemptions qu’ils obtinrent ou revendiquèrent par la suite.
Ainsi, quoique l’exonération de nombreux domaines se trouvât menacée, le gouvernement central fut généralement obligé de reconnaître celles qui existaient de facto, même lorsqu’elles reposaient sur des actes insuffisants ou sur une simple prescription. En fait, l’un des traits les plus remarquables que ces enquêtes révélèrent concernant le système des shôen est que presque aucun des domaines reconnus comme exonérés n’était en mesure de produire un document valable, émanant de la cour
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