La Fille Du Templier
Les
meilleurs chevaliers s’étaient battus pour elle, des hommes dignes de figurer
autour de la Table Ronde du roi Arthur. L’honneur commandait de se comporter en
preux.
Maintenant, il ne savait plus où il en était. Il pensait aux
marcs d’or, à Hugon. Peut-être lui fallait-il achever le travail d’Isembart
pour le bien de la Provence ?
— Tu es… le… gouverneur de Trets ?
Elle se souvenait de lui. Il avait gagné un tournoi à la
mêlée à Marseille ; elle se le rappelait comme un tourbillon, fracassant
ses adversaires, poussant son cheval pinchard sur les hommes tombés à terre. Il
avait une réputation effroyable. Elle ne comprenait pas pourquoi il lui avait
sauvé la vie et par quel hasard il se trouvait là.
— Malepeste ! jura-t-il.
Il était prêt à la frapper. Il préféra taillader un arbre
avec son épée, l’écuissant proprement. Puis il se détourna de Bertrane et
disparut dans la sylve.
Quand Stéphanie et Aubeline la retrouvèrent, la dame de
Signes tremblait de tous ses membres. Au premier coup d’œil, les deux
guerrières virent que ce n’était pas le poignard qui avait fait cette plaie
béante dans le corps d’Isembart. Elles demeurèrent sur leursgardes tandis que la Burgonde fouillait les alentours. La géante revint
bredouille.
— Un cavalier, il était seul, expliqua-t-elle.
Stéphanie se pencha sur son amie et la consola.
Aux questions de la comtesse des Baux, Bertrane répondit par
des incertitudes et ne mentionna pas le nom d’Odet d’Alègre. Le Bâtard, pour
une raison qui lui échappait, l’avait épargnée. Parler du Bâtard, c’était
dénoncer Hugon, car nul n’ignorait que le seigneur de Trets était à la solde de
l’aîné des Baux.
Bertrane se tut par amour et compassion, mais Stéphanie n’était
pas dupe.
— C’est mon fils qui a commandité ces assassins, laissa-t-elle
tomber d’une voix sourde. Tel que je le connais, il ne doit pas être loin, sûrement
à Trets avec ce serpent d’Odet le Bâtard. Que Dieu les damne tous les deux !
Bérarde !
La géante fît face à la comtesse dont la colère déformait le
visage.
— Oui, fit la Burgonde.
— Coupe-moi cette tête. Nous la ferons porter à Trets, à
titre d’avertissement.
Bertrane allait se récrier, mais Aubeline lui fit signe de
se taire. La géante ajusta le cou d’Isembart. Sa hache monta au-dessus de son
casque et s’abattit. Un bourreau n’aurait pas fait mieux. La trogne exsangue du
brigand se sépara du corps. Bérarde l’attrapa par les cheveux sans aucun dégoût
et l’emporta.
Les quatre femmes rejoignirent Guillaume qui inspectait les
cadavres ennemis. Il avait fait moisson d’armes et d’argent. Il montra les
pièces d’or à Stéphanie.
— Cet or sent la prime, dit-il.
Oui, et je sais d’où il provient, répondit la comtesse. Allons,
il est temps de reprendre la route. Nous avons beaucoup à nous faire pardonner
par Marie Madeleine.
À Nans, le viguier fut alerté. Un messager, porteur de la
tête d’Isembart, fut envoyé à Trets avec pour tâche difficile de balancer le
trophée devant la porte du château de l’Olympe.
Puis, après que les pèlerins eurent longuement prié dans la
grotte de la sainte, les moines blancs guerriers de la Sainte-Baume les escortèrent jusqu’au col de Taillane, frontière naturelle derrière laquelle
s’étendait le riche territoire de Château-Vieux et de la cour d’amour.
13
Aubeline et Bérarde retrouvèrent avec joie la bastide
fortifiée de Meynarguette laissée sous la garde d’un quatuor de paysans armés
de lances rouillées. Bertrane avait autorisé les deux femmes à rentrer chez
elles, mais pour une courte durée, le temps de rassembler leurs affaires. Elles
étaient attendues à la cour d’amour. La fille du templier et la Burgonde passèrent cependant des heures à s’apprêter, à essayer leurs nouvelles robes, à
rosir de plaisir et à piquer des fous rires à force de s’entraîner à faire des
révérences et à se comporter comme des princesses.
Guillaume s’imaginait déjà dans les cuisines du manoir des
dames. Son ventre gargouilla à l’évocation d’une tranche fumante de mouton
grillé sur son lit de lentilles relevées d’une pointe d’ail. Dans moins d’une
heure, il allait s’ébaudir face aux tonneaux de vin avant de se remplir la
panse. Il en connaissait le goût un peu âpre, les vignes d’ici poussaient sur
des terres pierreuses et schisteuses.
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