La Religion

première leçon sur l’utilisation du pouvoir. L’autre leçon, ils l’avaient clairement exprimée à l’époque. Pour les besoins de la chair, il y a des bordels et des garçons. Le crime, c’est de tomber amoureux. Et pour cela, la punition est terrible. »
    Les ténèbres du couloir l’avalèrent. La porte se referma sans un bruit. Et Carla se retrouva seule avec la lampe vacillante et les souvenirs de tout ce qu’elle avait perdu, et ses craintes face à ce qu’elle avait encore à perdre.
     
    ELLE ÉTAIT ALLONGÉE sur son lit sans dormir, et ne trouvait aucune consolation dans la prière. Elle se releva, mit sa robe et attacha ses cheveux. Elle arracha à son coin d’ombre le gros étui de cuir brun et, prenant la lanterne, elle descendit l’escalier le plus doucement possible, avant de traverser la cuisine sur la pointe des pieds pour s’enfoncer dans la nuit.
    Elle trouva l’endroit idéal sur les rochers près de la crique des Galères. Comme l’entrée de cette baie était bloquée par une massive chaîne de fer, c’était une des rares parties non fortifiées du front de mer. Il n’y avait pas de gardes. Il y régnait une atmosphère de paix. Elle déballa sa viole de gambe, l’accorda et tendit son archet. Ses doigts étaient doux, leurs cals effacés. C’était la première fois qu’elle sortait l’instrument de son étui depuis qu’elle avait joué pour Mattias à la villa Saliba, dans un autre monde et à une autre époque.
    De l’autre côté de l’eau s’étendait L’Isola, les joyeuses silhouettes de ses moulins à vent découpées sur fond d’étoiles. Derrière L’Isola, quelque part, s’étendait le camp turc. Si Mattias était encore en vie, si le murmure d’espoir en son cœur était plus qu’une illusion désespérée, peut-être entendrait-il sa musique et son angoisse. Et peut-être reviendrait-il. Carla prit une profonde inspiration. Elle secoua la fatigue de ses épaules et elle somma son esprit meurtri de trouver sa voix, puis elle commença à jouer.

LUNDI 6 AOÛT 1565
    Le Marsa – Le pavillon rose – La baie de Marsamxett
    TANNHAUSER TRAVERSA LE Marsa et les pentes spoliées du mont Sciberras, portant un turban blanc de neige et un caftan écarlate qui le faisaient paraître bien plus noble qu’il ne se sentait. Au côté, une dague au pommeau de rubis et au fourreau grenat était fichée dans sa ceinture. Sa monture était une splendide jument alezane du haras personnel d’Abbas bin Murad. Il était en route pour retrouver un garçon solitaire. Comme auparavant, Orlandu s’était avéré difficile à trouver et ce n’était pas la première tentative de Tannhauser. Aujourd’hui, il allait tenter sa chance parmi les corsaires.
    En traversant la barbacane de Saint-Elme noircie de fumée, son costume eut l’effet désiré sur le garde de la porte, un Bulgare d’après son allure, qui se courba bien bas devant le sourire que Tannhauser refréna en passant devant lui. Il pénétra dans la cour dévastée où le dernier des chevaliers avait été décapité, et où il avait partagé la dernière nuit de Le Mas. Une batterie de siège turque tira du mur côté mer qui surplombait le Borgo, mais, en dehors des équipes d’artilleurs, le fort était quasiment vide. Il y avait eu un temps où ce bastion avait semblé un monde en soi, débordant de folie héroïque et d’amour sacré ; maintenant, ce n’était plus qu’un petit tas de ruines minable et son aspect déserté le fit frissonner. Il entra dans la forge sans que personne ne le remarque, et descendit de cheval. Elle était vide et fraîche, mais l’heure n’était plus aux réminiscences. Avec une paire de pinces, il commença à soulever la dalle sur le sol, pour récupérer les cinq livres d’opium et la lourde bague d’or qu’il avait enterrées dessous. Ce n’était pas vraiment un travail nécessitant la force d’un Atlas, mais son front se couvrit rapidement d’une sueur maladive. Il n’était pas au mieux de sa santé, mais au moins il était remis sur pied.
     
    LA FIÈVRE AVAIT presque eu raison de lui. Il ne se souvenait pas des premiers jours enflammés qui avaient suivi la chute de Saint-Elme, et il ne s’en souciait pas. Ils avaient passé dans un délire plutôt bienvenu, dans lequel il sentait peu de chose et était conscient de moins encore, y compris, fort heureusement, de l’excision d’un gros abcès qui avait enflé jusqu’à prendre