La Révolution et la Guerre d’Espagne
corps d’armée, ils sont déjà largement supérieurs en nombre aux
forces réunies par les sept corps d’armée républicains ; ils témoignent d’une
supériorité matérielle chaque jour plus écrasante. L’artillerie républicaine,
selon Rojo, est réduite au sixième de l’artillerie adverse. L’armement
individuel fait défaut : 60 000 fusils, pas assez pour armer tous les
combattants.
Certes, un effort est encore possible ; le gouvernement
de Barcelone l’a tenté en décidant de mobiliser tous les hommes en âge de
combattre ; mais cette mobilisation, même si elle avait été réalisée, n’aurait
guère modifié la situation, puisqu’il n’y a pas d’armes à distribuer. Et puis
cette levée en masse prend une allure souvent absurde : sous le prétexte d’amener
sur le front des troupes qu’il ne sera même pas possible d’utiliser, on en
arrive à mobiliser les pompiers de Barcelone, ville quotidiennement bombardée,
et qui subit jusqu’à cinq et six alertes par jour. Dans la période qui va du 20
au 26 janvier, la vie de la cité est complètement désorganisée.
En fait, la bataille qui s’engage pour la possession de la
ville est perdue d’avance. L’armée de l’Ebre, profondément engagée vers le sud,
doit, pour éviter l’encerclement, abandonner le triangle méridional que défend
Tarragone ; la perte de cette ville annonce l’effondrement du front. Elle
s’ajoute à l’énorme désordre en provoquant le déplacement vers le nord d’une
foule de réfugiés, qui encombreront les routes de Catalogne. Ils s’entassent
déjà dans Barcelone, couchant jusque sur les quais du métro, qui servent à la
fois d’abris et de dortoirs.
Sans doute, les chefs militaires, les commissaires et les
représentants des partis et des syndicats songent-ils encore, le 24 janvier, à
soutenir une longue défense. Un effort considérable de propagande a été fait.
Partout sont déployées des banderoles et placées des affiches : « La
Catalogne est en danger. Tous aux armes ! » ou : « Gagnons
cette bataille et nous gagnerons la guerre ! » Pour gagner cette
bataille, il faudrait d’abord pouvoir la livrer. Les forces chargées de la
défense de la place sont notoirement insuffisantes. Le colonel Romero dispose à
peine de quelques milliers d’hommes, provenant soit de bataillons d’arrière-garde
de valeur douteuse, soit de troupes en retraite depuis le début de l’offensive
nationaliste, auxquelles on ne peut demander d’avoir un brillant moral. De
plus, les gardes d’assaut abandonneront le front dans la matinée du 21 janvier.
Enfin la population de la ville n’est pas préparée à une
véritable résistance. Sans parler des gens favorables au franquisme, la grande
majorité des habitants est manifestement lasse et ne croit plus à une victoire
qu’elle a attendue si longtemps. Survivre est devenu à Barcelone le premier des
problèmes. Tout manque ; plus de charbon, ni d’électricité. Les boutiques
sont vides ; même au marché noir, la pénurie se généralise. Les
distributions gouvernementales sont trop faibles et irrégulières. Les marchés
ne sont plus approvisionnés ; le sucre est remplacé par la
saccharine ; on ne trouve pratiquement plus d’huile. Seul le pain ne
manque pas, sauf pendant les trois jours qui précèdent la prise de la ville,
mais 300 grammes d’un pain gris ne calment pas la faim. L’aspect désolé de la
ville, contrastant avec l’allégresse et la couleur des premiers jours de la
révolution sur les Ramblas, permet de mesurer le chemin parcouru. Les lieux de
distractions ferment leurs portes, cabarets et dancings d’abord, puis, à partir
du 14 janvier, les théâtres, les cinémas et même les cafés, où l’on venait s’attabler
par habitude. Les derniers magasins ont tiré leurs rideaux de fer.
« Barcelone, quarante-huit heures avant l’entrée de l’ennemi, dit Rojo,
semble une cité morte. »
La dernière ligne de défense protégeant la ville est la
chaîne montagneuse du Tibidabo. Elle n’est pas sérieusement défendue. Le 23, le
front du Llobregat est rompu. En trois jours, les refus d’obéissance, les
désertions se multiplient. C’est la débandade à peu près totale le 26 au
matin ; le dévouement héroïque de quelques groupes [503] , qui se font
massacrer sur place, est parfaitement inutile. Les quartiers du port sont
bombardés par l’aviation, l’artillerie et la marine franquistes. Les
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