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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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peut même dire qu’il l’aime et qu’il se félicite de l’avoir épousée comme si la décision était venue de lui : « Dans ma situation, on ne pouvait faire de meilleur choix. C’est le type rêvé de femme dont un diplomate a besoin. Elle donne des armes à notre maison. » Certes, elle n’a pas tous les charmes. Il lui arrive de se mettre en colère sans élever la voix. Alors son corps se dessèche, semble-t-il, ébauche des gestes étriqués et son visage aride présente des arêtes qui ne sont pas agréables à voir. Philippe lui pardonne volontiers ces disgrâces. D’abord, ses devoirs de diplomate lui permettent de prendre ses distances à tout moment, ensuite, il trouve facilement ailleurs l’occasion de rassasier sa forte sensualité et son modeste appétit de tendresse. Au Plessis, les friponnes ne manquent pas, qui ne demandent qu’à prévenir ses désirs. De toute manière, le plaisir ne dictera jamais sa conduite. Il lui préférera toujours l’équilibre domestique et sa morale de convention qui sauvent les apparences en étouffant les ragots. Sans compter qu’Hélène a trop de sagesse et d’orgueil pour surveiller des incartades.
    Pour l’instant, elle ne se préoccupe que de plaire au roi qui paraît étonnamment sensible à ses attentions. À ses questions aimables, il répond d’une voix douce, un peu cassée, sans détourner une seule fois le regard. D’ordinaire, il n’accorde à la conversation des femmes qu’un intérêt momentané, une politesse de convenance, et voilà, maintenant, qu’il écoute sans lassitude, sans impatience, les réflexions anodines et timides de son hôtesse, qu’il les approuve, parfois, d’un mouvement de tête et semble en attendre d’autres. C’est une découverte pour Commynes qui, depuis neuf ans, observe son maître et n’a jamais remarqué, chez lui, une attitude de la sorte. Toutefois, la surprise qu’il éprouve, accompagnée d’un trouble discret, ne l’empêche nullement de se réjouir. Il demeure persuadé qu’Hélène travaille pour lui et que l’atmosphère légère, affable qu’elle propage prépare les entretiens sérieux qu’il projette d’engager avec le roi.
    Hier, il a passé une matinée difficile qui aurait pu se terminer par un accident funeste. En fait, l’épreuve a commencé l’avant-veille quand Louis a parlé de chasser le sanglier. Une folie, un suicide dans son état ! Il a même ajouté : « Demain, au petit jour, si tu veux bien. » Pris de court, redoutant le pire, affecté d’une émotion convulsive qui l’empêchait de réfléchir, d’aligner deux mots cohérents, Commynes a répondu : « Oui… c’était prévu », alors qu’il n’y avait même pas songé, n’avait rien organisé, à mille lieues d’imaginer que le roi, malade, incapable d’endurer la moindre fatigue et de se tenir en selle sans défaillir, pouvait lui faire une proposition pareille.
    Heureusement, le seigneur d’Argenton a de la ressource. Aux abois, il retrouve le sang-froid, la maîtrise et l’astuce que réclament les situations désespérées. Il a convoqué tout de suite son veneur, Gilles de Mérouville, ainsi que Jean Gautier qui gouverne le chenil et garde toujours en cage un peu de gibier. Sous le sceau du secret, les trois hommes ont réglé la mise en scène et les étapes d’une parodie de chasse : d’abord, trouver un prétexte pour ne pas débusquer de sanglier, ensuite, lâcher quelques chevreuils et lancer les chiens à leurs trousses de manière que la harde passe devant les chevaux à l’arrêt. Et le lendemain, avec la complicité de la nature et l’assentiment du ciel, tout s’est déroulé selon l’ordre souhaité. Louis XI, bien calé sur sa selle, serré de près par les montures de Commynes et de Mérouville, a redressé son dos voûté et dessillé ses yeux chassieux pour ajuster un brocard et le tuer proprement. Il a ri quand il a retiré la flèche du poitrail de la bête et qu’un jet de sang a éclaboussé son visage. Après un repas substantiel et une courte méridienne, il a dicté à son secrétaire, Pierre Parent, une lettre adressée à Jean de Beaumont, seigneur de Bressuire. Commynes, assis à deux pas et qui l’écoutait avec déférence, a retenu cette phrase pour le moins curieuse : « Je dois, maintenant, profiter de la saison pour tuer quelques

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