Le Troisième Reich, T2
inconcevable que le fait d’avoir
différé de plusieurs semaines l’Opération Barberousse en compromettait
la réussite. Il allait lui falloir conquérir l’Union Soviétique dans un délai
beaucoup plus court que prévu, cela en raison de l’approche d’un adversaire
inexorable : l’hiver !…
L’hiver russe qui était venu à bout de Charles XII de Suède
et de Napoléon. Le Reich allait être obligé de se rendre maître en six mois d’un
immense territoire qui, jamais, n’avait été conquis par l’Occident. L’été, certes,
commençait à peine, mais il fallait ramener jusqu’à la frontière russe le gros
des armées allemandes envoyées en avril sur le front balkanique, et cela sur d’énormes
distances, le long de routes non pavées et de lignes ferroviaires à voie unique,
plus ou moins délabrées et déplorablement inadéquates à un trafic de pareille
importance. Les défenseurs du génie militaire d’Hitler prétendirent que la
campagne balkanique ne retarda pas de façon appréciable l’horaire de Barberousse et qu’en tout cas ce retard, si retard il y avait, était imputable au dégel
tardif, qui, jusqu’à la mi-juin, transforma les routes d’Europe orientale en
bourbiers.
Le témoignage des membres du Haut-Commandement est tout autre. Le
maréchal Friedrich Paulus, commandant de la VIe armée allemande en Russie et
dont le nom restera à tout jamais associé à la tragédie de Stalingrad, affirma,
au Procès de Nuremberg, que la volonté hitlérienne de châtier la Yougoslavie
avait retardé de cinq semaines (69) l’exécution de Barberousse . Le
Journal de guerre de la Kriegsmarine confirme les dires de Paulus (70). De son
côté, von Rundstedt, commandant d’un groupe d’armées en Russie méridionale, déclara
à ce même tribunal qu’en raison de la campagne balkanique « l’offensive
contre la Russie subit un retard d’au moins quatre semaines ; délai qui
nous coûta très cher (71) ».
Quoi qu’il en soit, ce fut seulement après l’achèvement de la
campagne de Grèce et de Yougoslavie qu’Hitler fixa définitivement la date de la
mise en route de Barberousse : 22 juin 1941 (72).
« OPERATION TERREUR »
Au début de mars, Hitler réunit les chefs d’état-major des trois
armes – Wehrmacht, Kriegsmarine, Luftwaffe – pour leur communiquer ses ordres
et leur faire comprendre que dans le prochain corps à corps avec la Russie, aucune
« prise » ne serait interdite. Lisons ses propos transcrits par
Halder (73) :
« Le caractère que présente notre guerre contre la
Russie est tel qu’il doit exclure les formes chevaleresques. Il s’agit d’une
lutte entre deux idéologies, entre deux conceptions raciales. Il importe donc
de la mener avec une rigueur sans précédent et implacable. Tous, vous allez
devoir vous libérer de vos scrupules périmés. Je sais que l’obligation où nous
sommes d’adopter cette façon de faire la guerre vous échappe… mais je tiens
formellement à ce que mes ordres soient obéis sans discussion. L’idéologie
soviétique est aux antipodes de celle qui régit le national-socialisme. Par
conséquent, les Soviets doivent être liquidés . Les soldats allemands
coupables de contrevenir aux lois internationales de la guerre seront
innocentés… L’Union Soviétique n’ayant pas adhéré à la Convention de La Haye ne
pourra s’en réclamer. »
Au Procès de Nuremberg, ce document baptisé Directive
Commissar donna lieu à un débat d’ordre moral extrêmement grave : les
généraux allemands devaient-ils obéissance au Führer, même
au risque de se rendre coupables de crimes de guerre, ou devaient-ils agir
selon leur conscience [113] ?
D’après Halder, les généraux jugèrent
outrageantes de telles instructions. Dès la fin de la conférence, ils émirent
une protestation auprès de leur commandant en chef, le général von Brauchitsch.
Celui-ci, homme sans caractère [114] ,
leur promit de s’opposer à l’ordre du Führer, du moins
dans la forme où il avait été donné. Peu après, déclara Halder sous la foi du
serment, Brauchitsch informa par écrit l’O. K. W. de la répugnance des
officiers de la Wehrmacht en face de pareilles consignes.
« Jamais, assura-t-il, ils n’accepteront de s’y soumettre. » Fit-il
vraiment cette démarche ? Voire…
A Nuremberg, interrogé directement par les magistrats, Brauchitsch
avoua s’être abstenu de protester personnellement auprès du Führer
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