Les Filles De Caleb
il ouvrit la porte qu’il avait laissée entrebâillée et entra.
«Une grande pièce pour vous, madame, avec tout le confort. Une truie, une table avec une nappe dessus, quatre chaises, un p’tit chiffonnier, de la vaisselle, une glacière qui un jour aura de la glace. Oh! j’oubliais, un miroir pour vous permettre de regarder vos beaux yeux pis vos beaux cheveux, et, le confort de tous les conforts, un beau grand lit avec une paillasse remplie de bon foin frais, deux oreillers, des draps pis une couverte qu’Éva s’est fait un plaisir d’installer. »
Il s’y dirigea, et y déposa Émilie tout doucement. Émilie l’enlaça et le laissa commencer à l’explorer. Son lourdaud était une ouate qui lui chatouillait le corps de sa tendresse. Il se leva et voulut entreprendre de déboutonner sa chemise. Emilie l’attira à elle et lui fit comprendre que c’était elle qui le ferait. Il ne discuta pas.
La soirée transpirait la chaleur de la journée. Les grenouilles et les ouaouarons chantaient le clair de lune quand Émilie et Ovila sortirent du petit camp, tous les deux enroulés dans la couverture. Ils se dirigèrent vers le lac et s’assirent, les pieds dans l’eau. L’eau était tiède et invitante.
«Reste ici, Ovila, je reviens dans une minute.»
Émilie courut jusqu’au chalet, alluma une lampe, prit sa valise, la posa sur le lit, l’ouvrit et en retira sa robe de nuit qu’elle enfila à la hâte. Elle noua les six rubans, sans prendre la peine de faire des boucles. Elle enleva les quelques pinces qui tenaient encore à sa chevelure qu’elle brossa vigoureusement. Elle jeta un rapide coup d’œil dans le miroir et sourit. Elle sortit. Ovila l’entendit et se retourna. La lune jouait avec son ombre dans chacun des plis de la robe. Émilie marcha jusqu’à lui, sans dire un mot. Rendue à sa hauteur, elle ne s’arrêta pas. Elle avança résolument vers le lac. Elle ne ralentit le pas que pour habituer ses pieds à la douceur du sable qui lui glissait entre les orteils. Elle marcha encore, sans se retourner. Quand elle eut de l’eau jusqu’à la taille, elle plia les genoux et se trempa jusqu’aux épaules. Elle tourna sur elle-même, dans l’eau, et se releva. Ovila était debout. Il avait laissé tomber la couverture. Émilie lui ouvrit les bras. Il vint la rejoindre, l’enlaça, lui chuchota qu’elle était complètement folle et complètement belle et que les belles folles le rendaient toujours fou.
Le soleil avait depuis longtemps commencé à faire chanter les oiseaux lorsqu’Ovila ouvrit les yeux. Il se retourna et contempla le sommeil souriant d’Emilie. Il lui mordilla une oreille. Elle soupira et lui tourna le dos. Il lui mordilla l’autre oreille. Elle s’éveilla.
«Bonjour, ma belle brume. Est-ce que ça te tenterait de manger un p’tit quelque chose avec moi? Ta mère est une maudite bonne cuisinière, mais son repas est rendu pas mal loin. »
Emilie avait dit oui, s’était levée et avait enfilé sa robe de nuit froissée mais sèche. Ovila l’avait imitée mais n’avait rien enfilé. Il sortit pour aller «soulager sa nature». Emilie fit de même. Ils avaient mangé en riant de leur bonheur, Ovila taquinant Émilie sur le fait que bien peu de gens pouvaient savoir que les maîtresses d’écoles avaient plein de talents cachés.
«Ça fait six ans, Ovila Pronovost, que je regarde tes épaules, ton cou, tes jambes, pis tes cuisses. Le seul talent que j’ai, c’est d’avoir eu la patience de les attendre.» Elle émit un petit rire victorieux et moqueur.
— Pis moi, ça fait six ans que je trouve que tu vieillis plus vite que moi. Que j’ai peur que tu oublies de me regarder. Ça fait six ans que je rêve à toi à toutes les maudites nuits en trouvant que tu es la plus belle. Ça fait six ans que j’ai peur que tu trouves quelqu’un à ton goût. Pis là, ça fait un jour que je veux pas me réveiller parce que j’ai trop peur d’être encore en train de rêver.»
Pendant cinq jours, ils avaient dormi, mangé les provisions qu’Ovila avaient apportées, regardé les clairs de lune et continué de découvrir leur intimité. Ils ne s’étaient plus baignés, les chaleurs ayant définitivement quitté la Mauricie.
La sixième journée de leur exil, ils furent troublés d’entendre arriver quelqu’un. Ovila s’était vêtu à la hâte et était sorti du chalet, faisant signe à Émilie de ne pas bouger. Elle était donc restée
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