Les Filles De Caleb
d’arrêter. Monsieur Pronovost salua Emilie.
«C’est trop froid pour marcher aujourd’hui, mam’selle. C’est pour ça que j’m’ai dit que le grand avait eu une bonne idée d’aller vous quérir.
— C’est bien aimable à vous. Je me mettais justement en marche.»
Elle se leva pour céder sa place à madame Pronovost qui tenait son plus jeune enfant dans les bras, mais le père l’enjoignit de n’en rien faire. Il aida plutôt sa femme à monter aux côtés d’Emilie et fît signe aux enfants de grimper à l’arrière. Quand ils furent tous montés, il les imita. Émilie fut un peu surprise. Elle avait cru que ce serait lui qui prendrait les guides. Mais il n’en fit rien. Ovila demeura à son poste, étouffant de fierté sous la confiance qu’il venait d’obtenir. Ses frères aînés étaient à l’arrière avec leur père.
Émilie avait déjà rencontré tous les membres de la famille. En fait, Lazare, Ovila, Rosée, Émile et Éva étaient ses élèves. Elle n’avait toutefois qu’entrevu Ovide et Edmond, les aînés, et savait que l’année suivante, elle accueillerait Oscar à l’école. Quant au petit Télesphore qui venait de s’endormir sur les genoux de sa mère, elle ne le verrait que dans deux ou trois ans. Émilie était intimidée. Jamais, depuis le début de l’année, elle n’avait voyagé avec les Pronovost. Elle évita de regarder derrière elle, se contentant de féliciter Ovila sur sa façon de diriger les bêtes et parla un peu avec madame Pronovost de ses enfants, surtout du benjamin qu’elle trouvait magnifique. Madame Pronovost, même si elle n’était qu’un tout petit bout de femme, lui en imposait. Elle était très différente de sa mère. Elle parlait, riait de bon cœur et se permettait même de blaguer au sujet de son mari. Elle confia à Émilie qu’à son avis, Dosithée s’amusait beaucoup plus à l’arrière du traîneau qu’il ne le faisait quand il devait mener l’attelage.
«C’est encore un vrai p’tit gars, même s’il a quarante- cinq ans faits. Pis vous, mam’selle Bordeleau, quel âge que vous avez?»
Émilie se racla la gorge avant de répondre qu’elle avait seize ans, gênée à l’idée qu’elle n’était pas tellement plus âgée que la plupart des enfants présents dans le traîneau. Aussi, s’empressa-t-elle de préciser qu’elle allait bientôt avoir ses dix-sept ans. Madame Pronovost se contenta de hocher la tête et de dire que c’était un bien bel âge. C’était presque l’âge de son aîné d’Ovide. Émilie sourit. Ovila le remarqua et se demanda si elle avait souri parce que sa mère parlait d’Ovide ou parce qu’elle était heureuse à la pensée que dix-sept ans était un bel âge. Il jeta un coup d’œil discret en direction de son frère. Ce dernier était installé directement derrière Émilie. Il avait saisi le regard furtif de son jeune frère et le taquinait en feignant de flatter le dos d’Émilie. Ovila se retourna rapidement, furieux. Son frère Ovide avait une de ces façons de tout tourner au ridicule. Parce qu’Ovila avait proposé d’aller chercher son institutrice, Ovide s’était mis en frais de le taquiner au sujet de la belle demoiselle Bordeleau. Plus Ovila avait essayé de se défendre, plus son frère avait fait remarquer à tous combien il rougissait chaque fois qu’on prononçait le nom d’Emilie. Du haut de ses quatorze ans, Ovila lui avait demandé de se taire. Le père avait fait un clin d’œil à la mère. Personne n’était dupe. Dosithée souriait intérieurement. Au moins son fils avait eu le goût de choisir un beau brin de fille comme objet de rêve. La nouvelle institutrice avait fait jaser. Personne n’avait osé douter de ses compétences, à preuve, l’histoire du grand Joachim qui n’avait jamais voulu remettre les pieds à l’école. Par contre, tous les gens pensaient qu’avec son allure et sa fierté, elle ne resterait pas longtemps dans sa petite école de rang. Déjà, quelques jeunes à marier se promettaient de lui faire la cour, selon les usages, bien entendu. Mais Émilie semblait décourager tout soupirant avant qu’il n’ait fait un seul pas. Malgré son jeune âge, il y avait quelque chose en elle qui imposait le respect. Elle semblait garder les jeunes à distance, ce qui était heureux dans sa position — on avait entendu parler d’institutrices qui avaient accepté de recevoir des jeunes hommes dans leur école!
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