Les Filles De Caleb
part. Célina obéit. Ils s’assirent tous dans le salon et parlèrent de la température clémente. Henri assura à Emilie qu’elle pouvait fort bien se rendre à l’église sans couvre-chaussures. Emilie ricana et lui dit qu’elle le ferait. De mémoire, ce serait bien la première fois qu’elle entendrait résonner ses pas sur le plancher de l’église une nuit de Noël.
Imitant leurs parents, les enfants se retirèrent du salon pour aller enfiler leurs vêtements propres. Émilie, déjà prête, resta seule avec Henri. Il vint s’asseoir à ses côtés et lui prit une main.
«Émilie, je n’aurais jamais pensé être aussi chanceux. Quand je t’ai vue ce soir, il me semblait que j’assistais à un opéra et que la diva faisait son entrée.
— Tu ne m’as jamais dit que tu étais allé à l’opéra, répondit-elle en s’efforçant de bien prononcer chacun de ses mots.
— En fait, je n’y suis jamais allé, mais j’ai lu beaucoup de descriptions dans des journaux venus de la Métropole.
— La Métropole...?
— Mais la France, voyons, Émilie. Tu sais très bien que les gens des colonies appellent la France la Métropole.
— Oui, mais on n’est pas...nous ne sommes plus une colonie française.
— Si, Émilie, si. Dans le cœur de tous les Canadiens français, la France sera toujours notre mère et nous serons toujours des Français. Nous parlons la langue des Français, nous avons le code Napoléon et nous sommes entêtés comme les Normands, nos ancêtres. Enfin je présume que tes ancêtres étaient normands.
— Je pourrais...je ne pourrais pas te dire, Henri. Tout c’que...ce que je sais c’est que l’ancêtre était soldat dans le régiment de Carignan, et qu’il a marié une fille du Roy.
— Vraiment? Aaah! les filles du Roy...joli mythe.
— Qu’est-ce que tu veux dire par ça?
— Rien du tout, ma chère, mais j’ai ma petite idée là- dessus.
— Ah! bon.»
Emilie s’était tue. Elle ne savait pas ce qu’il avait voulu dire. Elle était aussi quelque peu agacée par ses attitudes empesées. Elle se demandait, un peu craintive, si elle pourrait toujours tenir des conversations aussi sérieuses. Mais elle était flattée de l’effet qu’elle faisait sur Henri. Elle était certaine qu’en devenant sa femme elle enorgueillirait Henri et qu’un homme fier de sa conquête, elle le savait, ferait toujours un mari attentif.
Caleb revint au salon, non sans prendre la peine de toussoter avant d’entrer. Henri n’avait pas pour autant laissé la main d’Émilie. C’est elle qui la retira. Caleb le remarqua.
«Bon, les jeunes, est-ce que ça fait votre affaire si on part à onze heures et quart? Me semble que ça serait une bonne heure.
— C’est vous qui décidez ça, pâpâ. Si vous pensez que c’est la bonne heure, alors c’est que c’est la bonne heure.»
Caleb regarda sa fille, intrigué. Normalement, elle aurait discuté de l’heure du départ. Il avait dit onze heures quinze pour être certain qu’elle voudrait bien être prête à partir à onze heures et demie. De plus, elle avait, devant Henri, une de ces façons de parler qui lui portait sur les nerfs. Il refusait de croire qu’elle faisait toujours autant d’efforts. S’il ne voulait pas passer de commentaires, il se sentait néanmoins obligé de dire quelque chose à sa fille.
«Émilie, est-ce que tu pourrais venir avec moi deux minutes dans la cuisine? »
Émilie s’excusa auprès d’Henri et suivit Caleb, pensant qu’il y avait quelque chose à mettre au point pour le réveillon.
«Qu’est-ce qu’il y a, pâpâ?
— Ça serait plus à moi de te demander ça.
— Je comprends pas.»
Caleb s’assit dans la berceuse. Il jeta un coup d’œil en direction de sa chambre pour s’assurer que Célina y était encore. Il écouta aussi les sons qui provenaient de l’étage. Les autres enfants avaient l’air affairés à souhait. Il se berça lentement. Émilie s’impatienta.
«Qu’est-ce qu’il y a?
— Je le sais pas. Je voudrais pas avoir l’air d’un père qui joue à la mère poule, mais il me semble, ma fille, que tu es pas comme avant. Je sais que tu es assez grande pour te choisir un mari, même si tu es pas encore en âge, pis je sais qu’Henri c’est un maudit bon parti
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