Les Filles De Caleb
Ta mémoire est bonne. »
Que de temps passé depuis cette visite. Que d’eau avait coulé dans sa Batiscan. Il lui faudrait écrire à Berthe et lui raconter tout ce qu’elle avait vécu depuis le Vendredi Saint, l'il le n’avait pas encore pris le temps de le faire. Il lui faudrait aussi écrire à Antoinette qu’elle avait tellement négligée. Antoinette avait eu l’amabilité de lui offrir ses services pour l’aider avec sa classe toujours surchargée à cause des élèves du pensionnat. Émilie lui avait dit qu’elle y réfléchirait. Antoinette avait ajouté qu’elle ne demanderait pas de compensation financière. Elle se contenterait d’installer un deuxième lit à l’étage et elles pourraient vivre, toutes les deux, comme au début de leur amitié. Depuis qu’Alma avait quitté Saint-Tite pour retourner dans sa famille et qu’Ovila était revenu, Antoinette avait connu de longues heures de solitude. Émilie l’avait visitée un peu moins souvent. Elle lui avait même demandé, à quelques reprises, de reporter sa visite dominicale. Émilie s’était promis de réfléchir à cette proposition durant ses vacances. Certes, un tel arrangement lui faciliterait la tâche. Mais elle se demandait comment elle pourrait voir Ovila en évitant de tenir Antoinette dans le secret. Oui, elle y réfléchirait. Elle aimait Antoinette comme on aime une amie très chère, mais elle craignait que sa présence ne la prive de sa liberté. Elle y réfléchirait.
Ovila immobilisa la calèche au même endroit qu’il l’avait fait lors de sa première — et dernière — visite. Tous les membres de la famille qui, apparemment, étaient aux aguets, accueillirent Émilie. Ils furent tous surpris de voir Ovila. La surprise de Caleb n’était toutefois rien comparée à celle de sa femme. Célina leur souhaita la bienvenue, tout à fait inconsciente qu’Ovila était le soupirant de sa fille. Caleb, pour sa part, lui avait chaleureusement serré la main en lui répétant sans arrêt qu’il était «très très très» heureux de le revoir.
Ils portèrent les bagages d’Émilie à l’intérieur et invitèrent Ovila à passer la nuit à Saint-Stanislas. Ovila aurait eu le temps de retourner à Saint-Tite, mais il accepta. Émilie rougit de plaisir. Ils pourraient, le lendemain matin, faire une belle promenade dans le bois. Seuls.
23.
Émilie avait refusé, pour la première fois, de prendre des élèves durant l’été. Elle voulait vraiment se reposer de cette difficile année qu’elle avait connue. Elle voulait aussi réfléchir à toutes les décisions qu’elle devrait prendre. Elle avait repensé à ce qu’Ovila lui avait dit concernant ses plans et s’était rendu compte avec étonnement qu’il n’avait jamais entrevu la possibilité que ses parents refusent de déménager. Ovila était tellement enthousiasmé par tous ses projets qu’il n’avait même pas songé qu’ils puissent ne pas convenir à tous. Émilie se sentirait bien malheureuse si elle devait avoir l’impression de forcer toute la famille Pronovost à changer de domicile.
A la fin juillet, elle avait écrit à Antoinette pour lui dire qu’elle acceptait son offre. Trois raisons étaient venues à bout de ses hésitations. La première, elle aimait vraiment ce petit bout de femme replète. La seconde, elle ne se sentait pas le courage d’entreprendre cette année scolaire sans aide. Elle savait que le nombre d’élèves serait encore plus grand, les religieuses lui ayant demandé si elle accepterait de garder avec elle les pensionnaires de l’année précédente, et d’accueillir, en plus, les nouvelles de sixième. Elle enseignerait donc à plus de quarante enfants. Normalement, cela aurait nécessité l’embauche d’une seconde institutrice, ce que les commissaires n’avaient pu faire. Émilie savait que ses charges de travail seraient augmentées terriblement et qu’elle devrait, par surcroît, préparer son coffre de cèdre. Tout ceci demanderait une organisation serrée de son temps. Enfin, dernière raison, elle avait pris conscience qu’elle et Ovila ne pourraient cacher indéfiniment leur relation. Aussi, il lui avait semblé préférable qu’Antoinette habitât avec elle pour faire taire les mauvaises langues qui commenceraient certainement à s’agiter.
Antoinette lui avait répondu qu’elle était très excitée à l’idée de revenir habiter le Bourdais. Elle promit à Emilie qu’elle
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