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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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que ceux qui
ont survécu et ont pu revenir se fassent croire à eux-mêmes que leur mission
rutile avait été digne d’intérêt. Aussi se sont-ils mis à broder à propos des
prodiges dont ils avaient pu être témoins, décrivant ces terres lointaines
comme merveilleuses à souhait. En fait, parmi les rares trophées qu’ils aient
vraiment rapportés, il faut surtout mentionner un certain écoulement intime, si
douloureux qu’il les empêchait presque de tenir en selle !
    Rêveur et un brin décontenancé, je glissai :
    — Mais enfin, Acre n’est-elle pas la ville aux
mille beautés et aux irrésistibles tentations, cette cité parfumée de mystère
et resplendissante de luxe ?
    Mon père secoua la tête.
    — Croisés et Sarrasins s’affrontent autour de Saint-Jean
d’Acre depuis plus d’un siècle et demi. Imagine à quoi cela peut ressembler, en
réalité. Plutôt non, pas besoin. Tu le verras bien assez tôt de tes yeux.
    Je les quittai là-dessus, certes un peu ébranlé dans
mes convictions mais pas abattu pour autant. En mon for intérieur, j’avais
acquis la certitude que mon père, avant tout obsédé par l’idée du bénéfice à
tirer, avait l’âme d’un parfait comptable, et que mon oncle, dans sa brutalité
native, était bien trop carré et bourru pour ressentir de plus fines émotions.
Ils auraient été capables de ne pas voir l’aventure alors même qu’ils se
trouvaient plongés dedans. Ce qui ne serait certes pas mon cas. Je m’en allai
et me dressai sur le pont, afin de ne manquer aucune sirène ou monstre marin
qui pourrait survenir par là, nageant entre deux eaux. Un voyage en mer, après
la griserie qui vous saisit le premier jour, a tendance à devenir un peu
monotone – à moins qu’une tempête ne survienne pour vous emplir de terreur,
mais elles ne se déchaînent que durant l’hiver, en Méditerranée –, aussi en
profitai-je pour apprendre tout ce que je pouvais sur le travail du bord. Le
temps étant des plus clément, l’équipage n’avait à accomplir que la besogne de
routine, aussi tous, du capitaine au cuisinier, me laissèrent-ils sans
difficulté poser toutes les questions qui me venaient à l’esprit, promener mon
regard où bon me semblait et, à l’occasion, les aider dans leur tâche. Ces
hommes étaient de nationalités fort variées, mais tous parlaient le français du
commerce (qu’ils appelaient le sabir), ce qui nous permettait de communiquer.
    — Connais-tu quelque chose à la navigation, mon
garçon ? me demanda l’un des marins. Sais-tu, par exemple, ce que l’on
appelle, sur un bateau, les œuvres vives et les œuvres mortes ?
    Je réfléchis un instant à la question, puis levai les
yeux vers les voiles, étendues de part et d’autre du navire telles les ailes
vivantes d’un oiseau. J’en déduisis qu’il devait s’agir de ses œuvres vives.
    — Faux, rétorqua le marin. Les œuvres vives sont
toutes les parties immergées du bateau, tandis que, par opposition, les œuvres
mortes désignent ce qui demeure en-dehors de l’eau, au-dessus de la ligne de
flottaison.
    Après un moment de réflexion, je fis remarquer :
    — En admettant que les œuvres mortes viennent à plonger
sous l’eau, il est vrai qu’on pourrait difficilement les qualifier d’œuvres
vives, car nous serions tous morts.
    Le marin répliqua très vite :
    — N’évoque jamais à bord ce genre de désastre,
malheureux ! Et il se signa.
    Un autre m’expliqua :
    — Si tu veux être un vrai loup de mer, bonhomme,
il te faut apprendre à reconnaître les dix-sept vents qui soufflent sur la
Méditerranée. (Il se mit en devoir de les pointer un à un sur ses doigts.) En
ce moment, nous sommes poussés par les vents étésiens qui soufflent du
nord-ouest. En été, c’est le vent d’autan qui souffle fièrement du sud,
apportant les tempêtes. Le vent qui souffle au large de la Grèce et rend la mer
turbulente est appelé gregelada. Le mistral souffle de l’ouest, tandis
que le vent d’Orient, venu d’Arménie, souffle de l’est...
    — Et quand il souffle, l’interrompit un autre
marin, on sent l’odeur des Cyclopèdes.
    — Ce sont des îles ? demandai-je.
    — Non, c’est un peuple étrange qui vit en
Arménie. Ils n’ont qu’un bras et une jambe unique. Il en faut donc deux pour
manier l’arc et la flèche. Comme ils ne peuvent marcher, ils sautillent à
cloche-pied. Mais lorsqu’ils sont pressés, ils se mettent à faire la

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