Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
.
Chapitre XXIV
Séjour de Julien à Antioche. Son expédition contre les Perses, d’abord
heureuse. Passage du Tigre. Retraite et mort de Julien. Élection de Jovien. Il
sauve l’armée romaine par un traité déshonorant.
LA fable philosophique des Césars [2704] , ouvrage de
Julien, est une des productions les plus agréables et les plus instructives de
l’esprit des anciens [2705] .
Au milieu de la liberté et de l’égalité des saturnales, Romulus a préparé un banquet
pour les dieux de l’Olympe qui l’ont adopté comme leur digne associé, et pour
les princes de Rome qui ont donné des lois à son peuple guerrier, et aux
nations de la terre vaincues par ses armes. Les immortels sont placés sur un
trône, chacun à leur rang, et la fable des Césars est servie au-dessous de la
lune, dans la région supérieure de l’air. L’inexorable Némésis précipite dans
le Tartare les tyrans indignes de la société des dieux et des hommes. Les
autres Césars prennent successivement leurs places ; et, à mesure qu’ils
s’avancent, le vieux Silène, moraliste jovial qui cache la sagesse d’un
philosophe sous le masque d’un suivant de Bacchus, fait des observations
malignes sur les vices ; les défauts et les taches de leurs différents
caractères [2706] .
A la fin, du repas, Mercure déclare, par ordre de Jupiter, qu’une couronne
céleste sera la récompense du mérite supérieur. Il s’agit de choisir les
candidats, et on désigne surtout Jules César, Auguste, Trajan et Marc-Aurèle :
l’efféminé Constantin [2707] n’est pas exclu de cette honorable lice, et l’un exhorte Alexandre à se mêler
aux héros romains pour disputer le prix de la gloire. Chacun des candidats a la
permission de faire valoir le mérite de ses exploits ; mais les dieux trouvent
que le modeste silence de Marc-Aurèle parle mieux en sa faveur que les discours
travaillés de ses orgueilleux rivaux. Lorsque les juges de cet imposant
concours viennent à examiner le cœur et à scruter les motifs des actions de
lotis ces princes, la supériorité du stoïcien empereur se montre d’une manière
encore plus décisive et plus éclatante [2708] .
Alexandre et César, Auguste, Trajan et Constantin, avouent en rougissant que la
réputation, la puissance ou le plaisir, ont été les premiers objets de leurs
travaux ; mais les dieux eux-mêmes contemplent avec respect et avec amour un
mortel vertueux qui a pratique sur le trône les leçons de la philosophie, et
qui, malgré notre imperfection, n’a pas craint d’aspirer aux attributs moraux
de l’Être suprême. Le rang de l’auteur donne un nouveau prix à cet agréable
ouvrage ; un prince qui parle librement des vices et des vertus de ses
prédécesseurs, souscrit à chaque ligne aux louanges ou marcher à la censure que
peut mériter sa propre conduite.
Dans les moments paisibles de la réflexion, Julien donnait
la préférence aux vertus utiles et bienfaisantes de Marc-Aurèle ; mais la
gloire d’Alexandre enflammait son ambition, et il recherchait avec une égale
ardeur l’estime des sages et les applaudissements de la multitude. A cette
époque de la vie où les, forces de l’esprit et du corps ont le plus de vigueur,
l’empereur, instruit par l’expérience et animé par le succès de la guerre des
Germains, résolut de signaler son règne par des exploits plus brillants et plus
mémorables. Des ambassadeurs de l’Orient, du continent de l’Inde, et de l’île
de Ceylan [2709] ,
étaient venus saluer avec respect la pourpre romaine [2710] .
Les nations de l’Occident estimaient et craignaient les
vertus personnelles de Julien dans la paix et dans la guerre. Il méprisait les
trophées d’une victoire sur les Goths [2711] ,
et croyait que la terreur de son nom et les nouvelles fortifications élevées
sur les frontières de la Thrace pt de l’Illyrie empêcheraient les Barbares du
Danube de violer désormais la foi des traités. Le successeur de Cyrus et d’Artaxerxés
lui parut le seul rival digne de sa valeur ; il se décida à conquérir la Perse,
et à châtier la puissance orgueilleuse qui avait si longtemps résisté et
insulté à la majesté de Rome [2712] .
Dès que le monarque persan fut instruit qu’un prince bien supérieur à Constance
occupait le trône, il daigna faire pour la paix quelques démarches peut-être
simulées, peut-être sincères. Mais la fermeté de Julien étonna l’orgueil de
Sapor. Le premier déclara nettement qu’il
Weitere Kostenlose Bücher