La guerre des rats(1999)
et de torches électriques.
Sur trois des murs s’alignaient quatre rangées de couchettes. Des uniformes portant des galons d’officiers étaient pliés sur des étagères. Des ronflements, des marmonnements ensommeillés accueillirent les Russes, qui formèrent une ligne de tir.
Tania appuya la crosse de son arme contre sa taille, abaissa le canon au même niveau que ceux de Zaïtsev, Koulikov et Shaïkine. La mitraillette russe PPS. avait une vitesse de tir de neuf cents balles par minute. Tania serra les dents, planta fermement ses pieds sur le sol.
Danilov redressa la poitrine et prononça le verdict :
— Pour le meurtre impitoyable de mères et d’enfants, vous êtes condamnés à mort, prédateurs nazis.
Il braqua son pistolet sur les couchettes, tira. La détonation claqua dans le bunker. Tania inhala la fumée de la poudre. Sur les couchettes, des têtes et des corps sursautèrent ; des voix s’élevèrent, à demi couvertes par l’écho de la détonation. Avant que les autres puissent réagir, Tania appuya sur la détente.
La mitraillette trembla dans ses mains, le canon se releva, cracha des balles dans le plafond. Tania lâcha la détente pour braquer de nouveau l’arme sur les couchettes.
La mitraillette de Zaïtsev crépita, rejointe par celles de Koulikov et de Shaïkine. Tania fit feu de nouveau. Danilov s’écarta et les quatre lièvres, côte à côte, lâchèrent un déluge de plomb sur les officiers allemands.
Tania balayait les couchettes, criblant tout ce qui se trouvait devant elle, bois, matelas, chair. Elle n’aurait su dire où frappaient ses balles, mêlées à celles des hommes qui l’entouraient. Les corps allongés, encore enveloppés dans leurs couvertures, tressautaient contre les murs, se crispaient sur les paillasses. Les secondes passaient, l’abri s’emplissait de bruit comme une bouteille s’emplit d’eau ; l’air était chassé du bunker, remplacé par de la fumée et des éclats de bois.
Zaïtsev tendit le bras pour abaisser l’arme de Tania. Elle relâcha la pression de son doigt sur la détente, s’aperçut que les autres avaient cessé de tirer. Une brume âcre flottait dans l’abri. Le fracas des mitraillettes dans la petite pièce avait rendue sourde l’ancienne résistante, qui n’entendait plus que les battements de son cœur à ses tempes.
Les cinq Russes demeurèrent un moment immobiles, puis Koulikov souleva la couverture pour laisser le nuage huileux sortir dans la tranchée.
À l’intérieur de la casemate, la faible lueur de la lanterne peinait à percer la fumée. Les couchettes étaient en morceaux ; les entrailles blanches du bois montraient un millier de trous. Les murs de terre miroitaient comme si on les avait arrosés de goudron frais. La petite flamme de la lampe se reflétait dans les taches rouges. Par terre, d’innombrables douilles se mêlaient aux éclats de bois, aux touffes de bourre ensanglantées.
Dans le calme revenu, Tania avait les nerfs à vif. Un mouvement sur sa gauche la fit tressaillir. Koulikov sortit en vacillant, Zaïtsev le suivit. Une main saisit le poignet de Tania : Shaïkine la tirait dehors. Danilov était déjà dans la tranchée.
Zaïtsev approcha son visage de celui de Tania, lui parla ; elle ne put l’entendre pardessus le sifflement de ses oreilles. Shaïkine, qui la tenait toujours par le poignet, se mit à courir et l’entraîna vers l’autre extrémité de la tranchée. Parvenu au bout, il sauta, se reçut sur le ventre, se redressa sur les genoux. En lui tendant sa mitraillette, Tania sentit la chaleur du canon. Elle s’extirpa de la tranchée, courut derrière Shaïkine à travers le rideau blanc tombant sur le noir de la nuit. Le monde de Tania était silencieux. Elle courait parmi les lièvres et le commissaire ventripotent, consciente que des balles sifflaient peut-être autour d’elle. Elle courait, enivrée par l’idée d’échapper à la mort en la traversant comme un cerceau.
Les lièvres détalaient, foulant les traces de pas qu’ils avaient laissées à l’aller. Quand ils furent assez loin, ils se jetèrent à plat ventre pour s’abriter. Zaïtsev reprit son souffle, puis repartit en rampant après avoir ordonné aux autres de le suivre dans les cinq minutes.
Tania renversa la tête en arrière pour regarder la neige tomber. Prise de vertige, elle eut l’impression que c’était elle qui flottait à la rencontre des flocons. Elle ferma les yeux, laissa la neige se
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